Tempérance, jour 47 – 2 décembre 2019

Radio Escapades
Lire le texte

Papa est mort comme il l’a voulu, dans la maison où il est né, après avoir rangé les outils de son dernier bricolage. Sortant de la douche pour être propre s’il fallait voir le docteur ou l’embaumeur. La veille au soir, il avait du sentir quelque chose et il avait parlé d’argent avec Maman. Il y avait des cagnottes cachées. Il lui avait dit qu’elle ne les trouverait pas, elle s’était moquée en retour, pensant parfaitement tout savoir.

On en rigolait encore lors de la veillée funèbre, se rappelant qu’il nous disait toujours « sauvez le pantalon ! ». Le pantalon est revenu les poches vides de la préparation mortuaire, mais on pense que, pour une fois, il ne l’avait pas rempli.

Maman a finalement trouvé la cagnotte : trois enveloppes pour chaque fils. Dix billets de vingt par enveloppe, avec écrit dessus, par sa main, le jeu de mot : Dix vingt .

J’en ai craqué.

Quelques temps plus tard, on a trouvé la vraie cagnotte, celle qu’effectivement Maman ne connaissait pas (mais dont elle supposait l’existence). De quoi saucissonner sur sa tombe, comme il le voulait. Ce sera pour l’après Coronavirus.

Tempérance, jour 45 – 30 novembre 2019

Volutes
(Jalousie en cage)
Lire le texte
Sinistres sphères.

Il est bientôt décembre. Par la force des choses, je passe beaucoup de temps à St-Hippolyte-du-fort. En cette période de jours les plus courts, j’y fait beaucoup de mes photos quotidiennes. Je fais des repérages d’un jour sur l’autre, note des possibilités, tente de les retrouver. Je sors souvent voir Vidourle qui n’est ici qu’un jeune serpent paisible (quand il ne hurle pas ses crues d’automne, ce qui peut encore arriver en ces temps de climat perturbé). Mais en ce moment, c’est au plus calme et il fait bien froid. Les éclairages de fête fraîchement installés brillent pour qui peut les voir, le village dormant vite en hiver. De grosses boules dorées et scintillantes pendent aux réverbères du pont où je passe. Le vent glacial et mordant s’engouffre dans le lit du fleuve, faisant grincer ces boulets au bout de leur chaîne. D’invisibles fantômes en furie se sont empêtrés dans les éclairages.

Il y a parfois des auto-stoppeurs au bout du pont, mais pas ce soir. Il fait vide et seul, et les grincements se déchaînent. L’ambiance est sinistre et comique à la fois C’est plus Halloween que Noël, quel contre-emploi !

Près du pont, un immense acacia, cafit de gousses, participe au vacarme à chaque nouvelle rafale. Ses grands haricots secs, au son léger et net, font un concert de claves. Les différents sons mélangés, vent, gousses, chaînes et rumeur de la rivière, augmentent l’ambiance irréelle de mes visions.

Je me remémore les cartes postales sonores que je faisais il y a quelques années. Je traversais des lieux avec un petit enregistreur en poche, récoltant des rêves éveillés. J’en avais réalisé une incroyable de Lausanne. Ce soir serait l’occasion parfaite d’en refaire une, mais il est inimaginable d’ajouter ce travail à celui de la photo du jour ni aux envies de notes écrites qui me titillent.

Tempérance, jour 44 – 29 novembre 2019

Passage nuageux
(Les plantes vertes)
Lire le texte

Je découvre malgré moi plus de similitudes avec mon père que je ne le pensais. C’en est presque amplifié par le deuil, avec des mimétismes naissant, qui n’existaient pour ainsi dire pas, juste avant. J’avais compris certaines choses mais pas toujours avec toutes leurs implications. Ici, au détour d’une image et là, au détour d’un objet, je recolle certains morceaux. Les petites phrases, les attitudes et les anecdotes, des indices qui révèlent certains pans de sa vie et de sa personnalité. Ça n’excuse pas tout de la part de Saint Pénible, mais je regrette de comprendre avec une telle acuité si tard. Visiblement, il fallait qu’il parte pour cela, cruel paradoxe.

On me demande beaucoup le pourquoi de mes pseudonymes. C’est cette question qui me surprend, après tous ces Boris Vian, Romain Gary et autres David Bowie aux noms fabriqués et aux identités multiples. Bien plus encore, après 25 ans de pratiques d’internet où les pseudonymes sont légion et prennent parfois le pas sur le nom civil.

J’ai réalisé que mon Père avait un pseudo quand il était jeune. Un truc de roublard qui ne l’a pas empêché de se faire de vrais amis et de charmer ma mère. Nous n’avons pas eu de nom d’emprunt pour les mêmes raisons, mais nous l’avons fait tous les deux. Je n’y avais jamais songé. Est-ce que nous l’avons fait sous l’élan de la même pulsion ?

Tempérance, jour 41 – 26 novembre 2019

Midi
Lire le texte

Au tout début de l’aventure, mon flash ne répond plus. Je n’aurai eu le temps de l’utiliser que pour « Des fleurs dans la nuit » qui ne fera même pas partie de l’expérience finale.

Mon appareil a 8 ans déjà, ce n’est pas une surprise s’il commence à lâcher. Il m’aura servi sans faillir jusqu’ici malgré mon manque de soin. Il faut dire que Pentax a fait un appareil idéal pour un tout terrain comme moi, il est résistant à l’eau et à la poussière (dans une certaine limite). Il m’a permis quantité de virées impréparées dans la neige, le sable ou sous l’orage. Je ne peux pas me plaindre s’il commence à faiblir. Je ne peux pas l’envoyer en réparation non plus, si je ne veux pas faire une pause forcée de cette expérience à peine démarrée.

Je ne suis pas un accro du flash mais son utilisation comme lumière d’appoint a toujours ponctué ma pratique. Tant pis, je ferai sans ! Ce sera l’occasion de me pencher sur la question des éclairages ou d’acheter un flash indépendant.

Pour compléter le tableau, mon ordi de bureau a lâché aussi il y a quelques temps, ce qui me force à me rabattre sur mon portable. Pas très grave dans l’immédiat – je dois rester mobile pour aller m’occuper de la maison de Papa et des chattes – mais ça aura des conséquences sur la retouche des photos, j’en reparlerai.

Je constate juste, à l’heure où je corrige ces lignes, que rien n’a changé. J’ai enchaîné les vortex temporels qui font que je suis toujours sur portable et sans flash 8 mois plus tard.

Tempérance, jour 38 – 23 novembre 2019

Ailleurs
Lire le texte

Les premières semaines, les premiers mois, je veux rester dans mes préoccupations habituelles. Chasser la bonne photo dans mon champ esthétique et discursif (contre-jours, déformations optiques, flou, disparition, dégradation…). Je mets longtemps à comprendre que je me trompe. Tempérance est un challenge, une occasion unique de jouer et de tester sans limite. Si je n’ai pas de sujet ni d’idée dans mon champ d’intérêt, il faut que je me laisse partir sur des chemins imprévus. Si je ne peux être attiré par une lumière existante, à moi d’imaginer comment l’obtenir. Il faut que je reste ouvert d’esprit. Il y a des rencontres que je ne ferai peut-être que cette fois !

Et si c’est mauvais, il vaut mieux un échec ludique qu’un échec triste. Un joyeux n’importe quoi, qu’un soufflé prétentieux qui finit comme une bouse. Penser à la liberté d’un Picasso, d’un Klee, d’un Odilon Redon ou d’un David Hockney.

Tempérance, jour 37 (b) – 22 novembre 2019

Voyage
Lire le texte

– L’anecdote du jour –

Alors que je ressors faire des photos de nuit, j’ignore que j’ai déjà réalisé un très bon cliché le matin même. Sur l’écran de contrôle, je n’avais pas vu mes intentions apparaître.

Je voulais créer un lien entre un tag et une publicité sans parvenir à une composition ni une signification satisfaisantes. L’intuition de rajouter un véhicule semblait ratée sur petit écran et pas le temps de recommencer. Or, il s’agit d’un camion de nettoyage qui me permet d’exprimer les thèmes de la consommation et de l’écologie, dans un mouvement de légère dégringolade. L’image est bel et bien parachevée !

En revanche, je fus immédiatement persuadé de la qualité de l’image nocturne. Je tenais l’esthétique, l’émotion et la lumière poursuivies avec acharnement. Malgré le cadrage loupé (ça se retouche), je devais la garder.

Chacune de ces photos représente un questionnement important. Comment trouver au delà de la forme et de la technique, le sens et l’émotion ? Ils sont difficiles à obtenir simultanément bien qu’ils ne soient pas opposés. La photo du matin apporte du sens (qui est une forme d’émotion), celle du soir apporte de l’émotion (qui est une forme de sens). Les deux se répondent. L’une sur la laideur du monde, l’autre sur ma sensibilité. L’autre contre l’une, ma sensibilité contre la laideur du monde.

J’avais une citation en tête dont je ne retrouve pas l’auteur, ou plutôt je trouve plusieurs auteurs avec des citations similaires. « La vie est belle, c’est le monde qui est affreux ». Est-ce que je l’ai mal retenue ? Est-ce que je l’ai inventée ? J’en fait mon aphorisme, c’est mon sens de la vie.

Je ne peux choisir entre mes deux images. Elles sont sœurs sous bien des aspects. Les deux souffrent de défauts techniques, de mon manque de pratique de la photo de rue aussi. Ce sont pourtant de beaux instantanés, comme la rue sait en offrir à ceux qui tentent l’aventure. Elles ne forment pas un diptyque, mais dialoguent entre leurs différences. La militante et la mystérieuse. La discursive et l’élusive. La concrète et la vaporeuse. La diurne et la nocturne…

C’est ma première dérogation aux règles de Tempérance.

Tempérance, jour 34 – 19 novembre 2019

Perspective
(Les couverts)
Lire le texte
Après quelques jours satisfaisants, je fais une première volée de photos faiblardes. Un cycle qui va malheureusement se répéter et que je peine à briser. Deux ou trois images décevantes suivent une ou deux prises très enthousiasmantes. Toutes les explications sont valables. Mon attention qui se relâche, le manque de circonstances propices dans mon univers restreint, le hasard ou, à certains moments, l’abattement du deuil.

C’est plus dur à avaler quand les clichés douteux s’enchaînent. C’est rarement un manque d’inspiration mais plutôt un manque de concentration. Je ne me suis pas assez motivé dès le réveil à garder l’œil ouvert, je n’ai pas assez préparé d’options de secours, je ne me suis pas assez concentré au moment de faire la photo.

J’essaye de garder la motivation en me disant que je ne peux que faire mieux. Ce n’est pas forcément insurmontable, dans le feu de l’action la concentration vient d’elle-même. J’ai toujours pensé qu’on pouvait reconvertir les chasseurs en photographes tant les ressorts sont similaires, particulièrement dans la photo naturaliste. L’affût, la traque, la connaissance du terrain, l’instant saisi au vol. À moi d’accompagner cette concentration naturelle toujours un peu plus. Un peu plus loin, un peu plus avant, un peu plus longtemps, un peu plus fort.