Tempérance, jour 17 – 2 novembre 2019

Flèche
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J’ai eu peu d’intuitions géniales dans ma vie. De grands moments réfléchis, oui, des intuitions fausse ou des élans idiots, aussi. Mais cette sensation d’être mû de façon pertinente par mon inconscient, m’est rarement arrivée. Lancer Tempérance en plein deuil est une de ces clairvoyances dont je suis fier (un jour, il faudrait que j’en fasse la liste).

Parfois, je suis indécis par crainte de manquer une opportunité. Le reste du temps, je suis comme tout un chacun, aveuglé par le voile du présent qui masque l’avenir, je m’en remets au hasard. J’oscille alors entre deux états banals : l’indécision ou l’inconscience.

J’ai fini par penser que la vie avait plus décidé de mon sort que moi-même. C’est une phrase que mon père a longtemps répété, sans que je la comprenne. Je la cite maintenant d’expérience, pas par mimétisme. J’ai pourtant tellement haï cette formule, enfant, quand il disait « On ne choisit pas dans la vie ». Je trouvais que c’était une phrase de soumis défaitiste. Maintenant, je vois que le hasard peut aussi être une chance et qu’il ne parlait peut-être pas que de l’aspect négatif. De toute façon, je l’ai admis, il faut composer avec ce que la vie nous donne. Je me retrouve avec les mots de mon père en bouche. Je nuance seulement la formule : On ne choisit pas toujours dans la vie, parfois seulement.

Et cette fois, j’ai fait le bon choix. Du fin fond du brouillard de mon deuil, j’ai lancé un fil qui me permet de m’accrocher à la réalité, même à la traîne. J’ai une tâche à faire tous les jours, peu importe l’heure. Elle m’extrait, pendant le temps de ma traque, de toute douleur et toute pensée introspective (autre que des réflexions artistiques). Je suis encore loin de savoir à quel point l’idée est bonne.

Tempérance, jour 14 – 30 octobre 2019

Du soleil dans l’huile
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Je ne cessais de me retenir de lancer Tempérance, sachant ce que m’avait coûté le précédent processus, dont la matière m’encombre toujours. J’avais peur de m’astreindre tous les jours pour, à nouveau, accoucher d’un résultat minable.

J’aurais pu décider d’appliquer la règle strictement. Une seule photo même si elle est nulle. Mais dans mon état, l’absence de résultat est au dessus de mes forces. J’ai besoin du réconfort de l’accomplissement. Même léger, même partiel.

Tempérance, jour 11 – 27 octobre 2019

Mimi
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Pour le peu que j’ai évoqué Tempérance, j’ai suscité les mêmes interrogations : « Une seule photo, vraiment ? Sans tricher, sans trier dans une série que tu prendrais ? ». Ça semblait impossible, c’était pourtant l’enjeu.

Je dois admettre que c’est difficile. Je pensais faire une expérience à la Sophie Calle avec ses règles et ses entorses. Mais j’aurais passé mon temps à déroger. À quoi bon dans ce cas ? Quelque chose me manque pour être aussi affûté, je n’ai pas le talent, l’assiduité, le contexte ou la technique. C’est sûrement l’occasion de les améliorer.

L’idée a dormi quatre ans. Maintenant la rigueur semble dérisoire devant le plaisir de m’être jeté à l’eau. Je garde l’idée de règles plus strictes pour une autre expérience. Faire aussi peu de photos que possible, et n’en garder qu’une à la fin de la journée, ça sera parfait pour cette fois-ci.

Tempérance, jour 10 – 26 octobre 2019

Bonbonne
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Amplitude ne s’est pas passé comme je le pressentais. J’ai été débordé. J’ai vite constaté que j’accumulais une matière phénoménale – pas toujours intéressante – en plus de tous les autres types de photos que je ne peux m’empêcher d’amasser : artistiques, naturalistes, pornographiques ou privées ! J’ai donc imaginé le processus inverse qui me limiterait à une photo par jour, strictement et simplement. Par cette restriction, je comptais retoucher mes photos le jour même, tout en remontant dans les dossiers en souffrance.

Ce n’est pas la bouffée d’air que j’espérais mais ça fonctionne un peu. J’arrive à peu près à traiter mes photos le jour même. J’ai stoppé l’ensevelissement et de temps en temps, je peux m’attaquer à un vieux stock de clichés. J’ai aussi compris qu’une autre question était en jeu.

Pour Amplitude, j’étais tourné vers l’extérieur, le chemin à parcourir à pied tous les jours, l’horizon à fixer, le village et la nature à contempler. Je vivais les évolutions subtiles d’un jour à l’autre, le temps devenait tangible et intime. À se demander si l’expérience était vraiment photographique.

Ici, avec Tempérance, c’est directement aux photos que je dois penser tous les jours. Je n’ai pas le choix, à un moment ou à un autre, je cogite au sens de la pratique photographique. Pourquoi est-ce que j’en fais ? Qu’est-ce que je veux capter ou transmettre ? Qu’est-ce qu’un bon cliché ? Qu’est-ce qu’un bon sujet ?

Tempérance, jour 9 – 25 octobre 2019

Le coude à la fenêtre
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J’ai mis longtemps pour trouver un nom adéquat à l’expérience solaire. Les photos dormaient jusqu’ici sous le nom de code « 66° ». C’est en nommant le processus actuel que tout s’est éclairci. Pour la photo du jour, je voulais un terme qui exprime mon désir d’en finir avec l’amoncellement de fichiers. « Tempérance » s’est imposé, rapidement suivi d’« Amplitude » pour le processus autour du soleil couchant. Pas besoin de faire compliqué.

Peut-être qu’un motif se dessine. Une expérience d’un an, un nom. J’ai déjà plusieurs idées, on verra bien quand on y sera…

Tempérance, jour 7 – 23 octobre 2019

L’étude
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Il y a cinq ans, je faisais ma première expérience d’un an. J’allais photographier le couchant, du même point de vue, tous les soirs. Sous une forme singulière, je me suis offert une chose assez banale : la contrainte comme moyen de création.

J’ai toujours aimé les films de ceux qui se photographient quotidiennement pour révéler le passage du temps. Sans parler de Koyaanisqatsi, un chef-d’œuvre du cinéma qui a exploité toutes les techniques temporelles. À mon modeste niveau, j’avais choisi l’amplitude des couchants du soleil comme sujet. J’espérais ainsi voir l’astre flotter sur l’horizon (pas de suspens : ça n’a pas fonctionné, mais l’expérience en valait le coup, j’en reparlerai peut-être).

La prise de poste journalière rejoignait un fantasme plus ancien. Celui, partagé par d’autres, de devenir Gardien de Phare. Être déposé sur l’île, seul pendant des mois, au rythme de la lumière, du temps et des éléments. Ermite enfermé dehors, sur ce navire immobile que la mer franchit. J’ai touché cette émotion en venant me poster sur ma vigie, jour après jour.

Ce rythme presque monacal donne de l’espace à la pensée. D’autres idées d’expériences à l’année me sont venues, dont celle qui nous occupe ici : Prendre une photo par jour.

Tempérance, jour 6 – 22 octobre 2019

Disparitions
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Il n’y a pas si longtemps, j’ai compris une règle importante : je dois aimer regarder mes images. Ici, pas question d’onanisme ou d’autosatisfecit, je parle d’éviter les photos aussi vite prises qu’oubliées, aussi vite oubliées que regardées.

Je réponds encore trop souvent à la pulsion de l’instantané : un moment capté, comme n’importe qui pourrait le faire, et qui s’avère totalement ennuyeux à la relecture. Aucune personnalité, aucune réinterprétation du réel, rien qui ne pousse à contempler l’image.

Il est commun de ne pas aimer se retourner sur son travail passé. On entend bien des artistes le déclarer dans les interviews. Mais ce n’est pas un bon critère me concernant. Pas de fausse modestie : si je ne ressens pas de motivation à le regarder, c’est sans doute juste mauvais !

Habituellement, je ne montre pas mon travail. Si je dois en être le seul spectateur autant qu’il ne m’ennuie pas. Je dois pouvoir revoir l’image avec intérêt, dès le moment du tri et lors de toutes les autres étapes… Quelque chose doit décoller et m’extraire du moment où elle a été réalisée. Une photo intéressante, c’est une photo qui me fait voyager. Et si elle m’intéresse, elle aura une chance d’en intéresser d’autres. Le désir de voir et de revoir un cliché fait donc partie de la fabrication de la photo.

C’est ce qui manquait aux premiers clichés de « Tempérance ». J’ai bien fait de me laisser une période de rodage. Je sais que ce n’est pas une garantie de faire des photos géniales, mais c’est un début de boussole pour me guider dans mon travail : Il me faut prendre une image que j’aurai plaisir à revoir.