Ysenquin

Bonne idée d’attendre avant de figer les règles, les premières photos sont désastreuses. Ce ne seront pas les dernières, mais dans cette première fournée, il y en a beaucoup trop. Je sens que je n’étais pas concerné par ce que j’ai pris, et surtout, je ne me sens pas concerné quand je les vois. Indice important sur la qualité des photos (j’en reparlerai). Mais je tâte le terrain, je prépare correctement mon élan pour ce marathon d’un an.

L’erreur de mon expérience d’un an précédente était l’absence de période d’essai. J’avais fait quelques repérages mais sans plus. C’était pertinent d’aller d’un solstice à l’autre, mais j’aurais du faire une tentative sur 15 jours. Une fois lancé, j’ai changé d’idée en cours de route deux fois, corriger ce qui était déjà dans la boite m’aurait demandé de repartir pour 6 mois de plus.

De toute façon, l’idée de départ n’a pas vraiment fonctionné. Maintenant je me retrouve avec une quantité faramineuse de clichés pour lesquels je n’ai qu’un désir moribond. Seuls quelques panoramiques ont une chance de survie, ils seront comme une trace, un périscope inversé.

Cette fois-ci je me laisse un peu de temps. On verra pour les règles exactes d’ici quelques jours. C’était déjà ambitieux de démarrer dans cet état de deuil, je ne peux pas trop m’en demander non plus. Si j’ai l’abnégation de tenter une photo par jour, je n’ai pas vraiment la concentration pour travailler. Je ne veux pas être trop indulgent non plus, disons que je me laisse quelques jours avant le jour 1, une semaine peut-être.

L’important, c’est d’avoir démarré.

C’est le jour de l’enterrement de Papa. Mais je ne vais pas parler de ça. Depuis trois jours, son décès essaye d’occuper tout mon champ mental, affrontant ce que je voulais faire hier, le mois dernier, ce que je veux faire là et demain. Dans les allers et retours entre ces réalités, je croise et recroise une envie. Une expérience que j’ai en tête depuis longtemps : prendre une photo par jour pendant un an. Pourquoi pas commencer là, maintenant. C’est un moment comme un autre pour lancer le processus. Comme on arrête de fumer ou qu’on reprend le sport à la faveur d’une rupture. Voire, c’est le meilleur moment pour commencer, le seul, le vrai. Une fin pour un commencement.

Je prends donc une photo de Papa juste avant la mise en bière, comme ça, sans me poser réellement les questions que j’entends loin dans ma tête. Est-ce que ça se fait ? Est-ce que ce n’est pas un peu indécent ? Qu’est-ce qu’il penserait de ça ? Qu’est-ce que ma mère va dire ? Qu’est-ce que mes frères vont penser ? Comme personne de présent ne retient ma main alors que je sors l’appareil, je déclenche, j’enclenche le processus. Je réfléchirai aux détails plus tard.